Difficulté : pas de problématique particulière
Utilisateurs : enseignants 1er et 2nd degrés
Niveau scolaire : de la maternelle au lycée
Présentation et intérêt pédagogique
La période "Covid 19" amène à questionner de façon pragmatique les conditions et espaces d'apprentissage.
Avant le confinement, élèves et enseignants sont en présence. Pendant le confinement, tous sont à distance avec la notion de continuité pédagogique, donc de non discontinuité entre le contexte en classe d'hier, et le contexte de distance d'aujourd'hui. Pendant la phase de déconfinement (même si les modalités de la rentrée de septembre ne sont pas encore connues), une partie se fait en alternance (école/maison) et une partie tout à distance.
→ Comment mettre en place des temps de classe mutuelle ?
→ Exemples et grille de construction de la documentation et de la scénarisation pédagogique
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Cette fiche pratique reprend les principaux thèmes abordés lors d'un webinaire de Laurent Jeannin, qui aborde l'évolution des modalités et des contextes d'enseignement d'un point de vue systémique.
→ Une première section, « Exemple d'utilisation »
, présente les éléments de la recherche en s'appuyant sur les expérimentations de classe mutuelle.
→ Une deuxième section, « Comment faire »
, interroge les pratiques dans une perspective environnementale.
→ Une troisième section, « Ressources associées »
, rapporte des retours d'expérimentations et vous propose un espace « do.doc »
en ligne pour continuer à échanger et mutualiser vos expériences (mot de passe : canopeIDF).
Exemple d'utilisation⚓
Postulat
Sylvie Jouan, professeur de philosophie, explique le choix de l'enseignement massif simultané plutôt que celui de l'enseignement mutuel.
Ces deux types d'enseignement ont coexisté. La décision revient principalement à Jean-Baptiste de La Salle (1651 –1719). Sa conception de l'apprentissage était qu'apprendre, c'est avant tout écouter le maître dont la religiosité garantit une morale exemplaire. Il se doit d'être un modèle à suivre dont doit émaner une autorité morale et un prestige que ne pourront pas avoir d'autres élèves. Dans cette perspective, l'éducation avait pour objectif de former un être moral, partageant des mêmes valeurs, en mettant ensemble tous les élèves en permanence devant un maître exemplaire.
Cette conception même de l'école n'a pas forcément été requestionnée par la suite (Ferry...). La société considérait dans cette période le maître comme d'autorité morale et de prestige exemplaire, partageant les valeurs de non religiosité.
Cette conception est aujourd'hui plus que maltraitée et remise en question par la société, mais aussi par la posture et par les outils même que l'institution peut mettre à disposition de l'école sur ce rapport entre maître/élèves, parents-famille et valeurs de l'État.
Vincent Faillet (professeur agrégé et doctorant en sciences de l'éducation à l'université Paris-Descartes) a adapté la méthode de la classe mutuelle dans le cadre de ses misions d'enseignement en lycée.
Si l'on schématise, il découpe 1h30 d'enseignement en 3 actes.
Faire cours sur des notions conceptuelles très fortes (environ 20 minutes) : c'est l'enseignant qui fait appel au savoir savant, au savoir à enseigner, aux notions et aux concepts.
Prendre un temps pour distinguer rapidement les élèves qui aurait bien compris, moyennement compris ou pas du tout compris le concept : identification de 3 groupes de besoin par rapport à la à la difficulté, à la compréhension de ce qui a été évoqué en terme de modèle scientifique ou de modèle de connaissance.
Les ressources sont organisées de manière à ce que les élèves qui ont bien compris accompagnent et aident les élèves qui ont moyennement compris. L'enseignant polarise alors son activité vers les élèves qui sont en plus grande difficulté (environ 50 minutes).
Accompagner un temps de bilan et d'institutionnalisation des savoirs acquis pour pouvoir compléter (environ 10 minutes) .
Dans l'enseignement mutuel, il y a toute une organisation associée à la mobilité des élèves. Pendant les 50 minutes, pales élèves bougent, ce qui est souvent caractéristique de l'enseignement mutuel. Les murs de la classe de Vincent Faillet sont occupés par des tableaux à feutre ou à craie. Il y a ainsi une fonctionnalisation et une organisation spatiale de la classe : pendant les 50 minutes, les élèves travaillent sur une surface commune, ici le tableau. Ils sont donc debout pour pouvoir travailler ensemble, écrire au tableau et partager.
L'organisation spatiale n'est pas anodine. La capacité de modularité est aussi excessivement importante.
Il ne faut pas oublier que dans les grandes expérimentations qui ont été menées dans l'enseignement mutuel en parallèle de l'enseignement simultané, l'enseignement mutuel était organisée pour pouvoir faire cours à environ une centaine d'élèves.
L'enseignement simultané, en face à face, avec un maître exemplaire de morale, d'éthique et de valeurs républicaines, se faisait devant des salles de classe, en rangs d'une cinquantaine d'élèves.
Le courant et les stratégies mis en place par Vincent Fayet font appel à tout un courant de didactique et d'épistémologie assez fort qui se regroupe en deux grands thèmes :
l'activité de modélisation émane de Vygotsky et de la philosophie russe. Elle a beaucoup été travaillée en mathématiques, physique et chimie. André Tiberghien, directrice de recherche émérite au CNRS, a travaillé autour de cette approche pour développer ses modalités d'activité de modélisation.
Le principe est que, pour que les élèves apprennent, il est absolument nécessaire qu'ils réalisent des liens entre une théorie et un modèle, donc entre quelque chose qui est du registre du savoir à enseigner, du savoir savant, et des objets et événements de la vie quotidienne. Ce principe est à considérer quelle que soit la discipline (didactique du français, didactique des langues...). l
→ L'enseignant n'est plus détenteur du savoir, c'est la science qui détient le savoir et est la théorie modèle. Son activité est d'organiser des ressources et une pédagogie qui vont être propices à ce que les élèves s'approprient le modèle et la théorie. Les élèves sont conduits à réaliser des liens entre les objets et événements quotidiens et le savoir savant.
L'enseignement mutuel est proche de cette démarche mais ne la suit pas intégralement : en effet, la première phase conceptuelle est toujours prise en charge par l'enseignant, jamais par un autre média. Andrée Tiberghien distribue un modèle de la science, de la grammaire, de la rhétorique... Elle distribue un papier,un site internet, un CD-ROM... Les éléments de science sont sur un support : ce ne sont pas les élèves qui les recopient du tableau. Andrée Tiberghien exploite les trois registres sémiotiques dans la structuration d'une ingénierie pédagogique. Les élèves travaillent toujours entre savoir scientifique, savoir enseigné et objet ou événement.
Il y a apprentissage quand il y a des liens conscients et répétés de la part de l'élève entre ces savoirs académiques et ces savoirs de l'expérience du quotidien.
le processus de transposition didactique (Yves Chevallard) et le concept de milieu didactique ( Guy Brousseau).
Le milieu didactique est l'environnement dans lequel on va faire plonger l'élève : cet environnement doit être propice pour que par le biais de ces interactions, l'élève dépasse ses difficultés. Les interactions peuvent être de plusieurs types, humaines ou avec du matériel.
La problématique de l'enseignement mutuel rejoint aussi ces considérations didactiques un peu fortes qui évoquent le fait que il y ait dévolution de la construction du savoir aux élèves. On leur redistribue la responsabilité de la construction du savoir par le biais d'actions et d'activités sociales. En parallèle de l'acte social, on organise un environnement.
Dans l'enseignement mutuel, ce sont des tableaux aux murs, des murs d'écriture, la possibilité de se déplacer. Quand on a des environnements virtuels, ou la capacité d'aller dans un CDI, une BCD, une bibliothèque, on autorise l'élève à se déplacer pour aller chercher de la ressource à l'extérieur. Plusieurs élèves travaillent debout ou assis en alternant les phases de collaboration horizontale et verticale.
L'approche mutuelle voit principalement les approches de recherche dans la problématique de collaboration , mais très peu dans la problématique de circulation des savoirs d'un point de vue didactique.
FAILLET, V., (2017) La métamorphose de l'école quand les élèves font la classe, Descartes & Cie.
FAILLET, V., (2019) Remodeler sa salle de classe et sa pédagogie, Canopé.
Comment faire⚓
Pas à pas : en amont
On va mettre en perspective collaboration ou coopération entre les élèves, mais aussi entre les élèves et l'enseignant.
Le contrat change : ceux qui ont compris vont accompagner ou aider ceux qui ont moins compris ; ceux qui sont plus en difficulté vont bénéficier d'un accompagnement un peu plus rapproché de la part de l'enseignant.
Les travaux de recherche associés à l'enseignement mutuel anglophones et internationaux listent les conditions nécessaires à la mise en place de ses outils de classe mutuelle et de collaboration.
La collaboration est volontaire. On met en place un cheminement pour que la collaboration entre élèves soit volontaire ou volontariste. Forcer les élèves amène rapidement des dérives parfois un peu difficiles à gérer.
La collaboration nécessite la parité entre les participants. Il ne s'agit pas de parité du genre, mais de parité des tâches et des responsabilités dans la collaboration. Ce ne doit pas toujours être le même élève qui fasse, qui rédige, qui soit leader dans le groupe. Comme pour la classe inversée, l'approche et l'axe méthodologiques sont très importants.
La collaboration est basée sur la poursuite de buts communs. Les élèves sont tous là pour répondre à une situation : il ne s'agit pas d'être passif et de récupérer le travail d'autrui à la fin.
La collaboration requiert le partage des responsabilités. Une bonne comme une mauvaise note ou évaluation sont partagées. Le but est le développement d'une intelligence collective (il existe des outils pour travailler sur ces éléments).
Les individus qui collaborent partagent leurs ressources. L'intelligence collective doit créer une émulsion.
Les individus qui collaborent estiment et valorisent ce mode d'interaction interpersonnelle. Un élève ne soit pas en surplomber un autre, ni le sous-estimer.
La confiance mutuelle est présente au sein d'une équipe collaborative.
Un sentiment d'appartenance accompagne les individus qui travaillent en collaboration.
Il n'est déjà pas forcément facile d'acquérir ces pré-requis en présence.
La question du sentiment d'appartenance et du travail en collaboration à distance n'est pas facile s'il n'est pas guidé par un schéma de cadencement et de guidance. Il est souvent plus opportun de l'écrire et de l'organiser pour qu'il soit vraiment efficace et efficient dans la situation de classe.
De la même manière, que ce soit pour mettre en œuvre des dispositifs d'évaluation par les pairs ou de classe inversée, guidance et cadencement sont de la responsabilité de l'enseignant.
Pas à pas : en acte
Collaboration : horizontale et verticale, mettre l'élève en mouvement
Il y a des phases de collaboration horizontale et verticale : l'élève doit être en mobilité.
Il faut cadencer et organiser les 50 minutes et ne pas laisser forcément au début libre cours à la capacité des élèves de s'organiser et de répondre à la tâche par eux-mêmes. Il faut être en capacité d'apporter une guidance et une méthode.
Quelles sont les ressources que vous allez utiliser pour résoudre un problème ? Quel questionnement vous allez mettre en place ? À partir de Comment allez-vous ensuite tester vos hypothèses au travers des ressources trouvées ? Comment rédiger une synthèse ? Comment la proposer à autrui ? Au travers de ce mouvement est ce dynamisme, il y a des phases méthodologiques et des phases physiques d'occupation et de travail de l'espace.
Risque : attendre la correction et bruit dans la classe => niveau d'engagement / sentiment d'auto-efficacité
Beaucoup de travaux de recherche montrent que le risque est d'être confronté à des élèves passifs qui attendent les éléments de correction. Pour l'éviter, il faut que les groupes soient constitués d'un nombre impair d'élèves : 3 ou maximum 5. Dans ces dispositifs d'enseignement mutuel, il faut gérer le bruit dans la classe et le bruit des déplacements. Il est toujours possible d'équiper les pieds des chaises et des tables avec des balles de tennis percées. Les élèves vont parler, échanger, débattre, se chamailler... Cela engendre du bruit pour les classes avoisinantes, dans le couloir... Il ne faut pas négliger cet aspect : le bruit dans la classe a un impact sur le niveau d'engagement et le sentiment d'auto-efficacité des élèves.
Une grille de conception à cinq entrées
Tâches enseignant
Tâches élèves
Savoir en jeux
Ressources
Espace
Cette grille à 5 entrées permet d'anticiper et d'organiser la classe mutuelle.
Il est recommandé d'être très descriptif en ce qui concerne les tâches de l'enseignant pendant les 20 premières minutes conceptuelles : comment accueillir les élèves, comment se place l'enseignant...
Cela interroge l'organisation de l'entrée dans la classe, des ressources, de l'espace (tables en groupe de 3 et de 5). Gibson notamment a travaillé sur cette question des affordances perceptibles : quand les élèves rentrent dans la situation de classe, et qu'ils découvrent des tableaux, des murs d'écriture, des tables organisées en îlots pour des groupes de 3 à 5, ils reçoivent un message très fort concernant l'organisation de la séquence pédagogique.
Les tâches des élèves incluent leur posture et leurs actions. Sont-ils assis, doivent-ils écouter, prendre des notes ? Quel est le savoir en jeu ? Quelle est l'organisation les ressources, les élèves prennent-ils connaissance d'une méthode de travail ? L'enseignant occupe-t-il l'espace situé derrière le bureau ou est-il au milieu de la salle pour pouvoir faire acte d'autorité ?
Les travaux de Moulin interrogent le discours silencieux de l'enseignant. Moulin a identifié des espaces particuliers très symboliques dans la salle de classe : l'espace enseignant, bandeau entre le bureau de ce dernier et le tableau ; l'espace central en colonne vertébrale, autant un espace d'institutionnalisation que d'acte de discipline ; l'espace au fond de classe...
L'ensemble des tâches est décliné comme un chronogramme de l'activité pour retravailler l'organisation de l'enseignement mutuel en faisant l'articulation entre les espaces occupés et les ressources mises à disposition.
On envisage ainsi le rapport aux organisations, tel que peut le faire Vincent Faillet, et le rapport avec la didactique.
La colonne ressource correspond au milieu didactique que l'enseignant met en place. C'est ce qu'on appelle la dévolution du savoir à construire entre l'enseignant et l'élève. Dans la classe mutuelle, l'occupation de l'espace a un rôle non négligeable car les élèves sont mobiles ; il y a nécessité de pouvoir jouer dans un espace bien particulier pour pouvoir travailler.
Pas à pas : swot
Pas à pas : questions et retours d'expériences
Le principe de la sémiotique de Peirce
Dans les années 70, en théorie de l'information de la communication, il a été établi que, pouvoir pallier à tous les styles de modalités de réception de l'information chez les sujets et favoriser un ancrage mémoriel important, il était nécessaire de pour pouvoir pallier à tous les styles de modalité de réception de l'information. Il est important au minimum d'avoir trois registres sémiotiques pour communiquer : on utilise la langue naturelle, la langue symbolique, une image fixe... Ce principe est toujours utilisé dans la publicité (une marque donc un langage symbolique, parfois une image d'Épinal « vendeuse », un logo et une phrase d'accroche, une symbolique...).
Il est très intéressant de multiplier les registres : images fixes, images animées, animations, simulations, micro-mondes, langage naturel, langage symbolique, langage formulé... Il faut essayer de jouer sur tous ces éléments.
Pour en savoir plus : Sémiotique de l'information chez Charles S. Peirce
Comment appliquer la sémiotique de Peirce en distanciel ?
Cela dépend de la granularité du dispositif.
Exemple en sciences physiques sur la notion de gravité
1er registre : donner une définition à distance en langue naturelle
2e registre : apporter la formule
3e registre : proposer une vidéo avec une petite animation sur la force gravitationnelle 3e registre et
→ Demander aux élèves de faire le lien sur la notion de force gravitationnelle en utilisant ces 3 registres.
→ Faire un petit test de positionnement de 3 questions pour évaluer si les élèves ont compris (les 2 premières questions sont associées à du savoir savant et la troisième question fait appel à la relation avec les objets ou événements (ex : est-ce que la pierre qui tombe va aller aussi vite que la balle de tennis qui tombe ?).
→ À la fin du test de positionnement, donner un feedback qui fait le lien sur ces trois registres sémiotiques.
Peut-on appliquer les problématiques des registres sémiotiques à l'anglais ?
Oui, il y a beaucoup de travaux dans toutes les disciplines sur cette articulation des registres sémiotiques et sur la granularisation de la ressource pédagogique.
Dans l'apprentissage d'une langue étrangère ou du français utilise ces méthodes sont utilisées notamment pour travailler sur des problématiques de grammaire.
Nicolas Guichon, professeur des Universités (Sciences du langage), travaille sur l'apprentissage de la langue (langues étrangères et français) à l'aide des outils multimédias et fait référence à cette multiplication des registres.
Est-il possible de mettre en place la classe mutuelle en permanence ?
Cela n'est pas souhaitable.
Il faut être en capacité de pouvoir alterner les responsabilités : il y a des moments où l'enseignant a la responsabilité d'institutionnaliser le savoir, par exemple quand il évoque des éléments de savoir savant. Tout n'est pas pédagogie unique, tout n'est pas chronique pratique unifiée. Il va être nécessaire de trouver des moments où il y aura un enseignement frontal magistral. Il peut y avoir aussi des phases de classe inversée.
L'idée est au contraire de ne pas être dans un système d'équilibre et d'être dans un système où il y a dynamique et redistribution des rôles dans leurs responsabilités d'institutionnalisation de savoir et de construction de sens.
Parfois même on peut même aller jusqu'à la classe renversée : la base de connaissance, le cours, se construit en faisant appel aux perceptions des élèves et à leurs représentations même de ce que peut-être le contenu de savoir.
Exemple : ce qu'évoque un mot ou une notion chez un individu, sa représentation primaire, va être associé à son expérience, à sa culture, à sa connaissance, à son environnement socio-affectif et technique. Ses neurones canoniques vont tout de suite aller chercher un sens premier, le plus proche de lui (besoins vitaux, affectifs...). L'enseignant, dans la situation d'apprentissage, fait d'abord état de ces premières représentations : quand on leur évoque un concept nouveau, les élèves ont tout de suite une idée de ce que c'est, parfois juste mais parfois fausse. L'important est de connaître et de comprendre les représentations que peuvent avoir les élèves, pour parfois les déconstruire et en reconstruire de nouvelles. C'est ce processus qui va leur permettre d'apprendre.
Dans un dispositif de classe mutuelle, la responsabilité du savoir n'est pas toujours celle de l'enseignant. C'est ce qui apprend aux élèves à acquérir de l'autonomie.
Cette pratique est donc intéressante mais ne peut être continue.
Peut-on mettre en œuvre la classe mutuelle sans avoir des murs ou des tableaux blancs ?
Oui, l'enseignant n'est pas obligé d'utiliser les murs. Par rapport à la physiologie de l'être humain, il est recommandé d'être en mobilité environ 5 minutes (déplacement court) toutes les 10 à 15 minutes. Des travaux de recherche ont montré qu'une tâche cognitive complexe était mieux résolue par des enfants qui avait participé une activité cardio. Le fait de bouger engage le cerveau reptilien et augmente la productivité. Il est par conséquent très important de jouer avec une collaboration horizontale, par exemple faire un brainstorming sur un grand poster, sur une table, puis l'afficher au mur pour débattre debout.
On oscille entre :
une position assise, la phase de conceptualisation, où on collabore et on construit, où on se force à avoir une écriture commune pour pouvoir répondre dans un espace contraint de la feuille A3 (porte l'écriture) ;
une position debout, la phase de communication d'informations voire d'argumentation avec autrui.
Finalement, le contexte sanitaire lié au COVID prend en compte ce rapport au corps tout en le sécurisant dans un cadre contraignant. Il est toujours possible de s'asseoir par terre, de faire tourner une feuille sur laquelle chaque enfant avec son crayon inscrit un commentaire, de travailler différemment.
Des enseignants proposent des temps d'éducation kinesthésique.
Comment faire la mise en commun des travaux de groupe sans que cela soit trop chronophage mais tout en étant efficace ?
En présence ou à distance, il existe des outils de travaux collaboratifs qui peuvent être embarqués dans un ENT, ou des outils libres en ligne (chatons.org).
Il peut être intéressant de demander de restituer une idée dans un temps très limité (sur le modèle de la thèse en 180 secondes). Cela nécessite d'être en capacité de cibler un sujet.
Sur un créneau d'1 heure, les méthodes de codesign ou de design thinking peuvent être appropriées :
brise-glace de 10 minutes ;
problème à résoudre de 15 à 20 minutes ;
présentation de 180 secondes à toute la classe (18 minutes pour cinq à six groupes). Une grille d'évaluation par les pairs est fournie parallèlement pour évaluer la prestation.
production d'une synthèse à communiquer à l'enseignant (par mail si distanciel) en 15 à 20 minutes.
Dans des dispositifs type World café, les élèves sont dans une dynamique de groupe et partagent des idées en écrivant sur des nappes en papier. Ils passent de nappes en nappes en complétant et mutualisant.
La mise en commun est très importante dans le processus d'institutionnalisation et de dévolution. Il ne faut pas que les élèves repartent en ayant des la croyance qu'il avait juste "en collectif". Elle est aussi importante pour conserver la place avez donnée aux élèves : ils ont eu la possibilité de travailler ensemble, ils doivent avoir la possibilité de faire une synthèse et d'apporter ensemble la réponse.
Créer des murs d'écriture
Dans une classe expérimentale de 70 mètres carrés (7 m sur 1, Laurent Jeannin a mis en place un pan de papier blanc adhésif effaçable de 10 m de long, du sol au plafond.
Ce tableau a de multiples usages, on peut y exprimer ses idées, argumenter, travailler en petits groupes. Un tableau classique a au maximum 1 m. de diagonale : c'est une surface contrainte qui oblige soit à synthétiser les propos donc à les réduire et parfois les modéliser, soit à effacer pour pouvoir tout écrire, ce qui exige une prise de note rapide.
Point de vigilance : les problématiques de classe flexible
On voit apparaître des expériences de classe flexible dans le premier degré : ces configurations sont propices à la classe mutuelle.
Laurent Jeannin, chercheur à l'Université de Cergy-Pontoise, est titulaire d'une des trois chaires de recherche qui existent dans le monde sur le sujet de l'architecture scolaire (les 2 autres sont au Canada et en Australie). Il travaille spécifiquement sur l'impact du rapport à l'espace, sur les conditions d'apprentissage et de bien-être.
La classe flexible interroge le rapport à l'espace. Certains établissements ont acquis par exemple des chaises à roulettes, des poufs (type sac poire)... pour travailler les postures, l'espace et la flexibilité de l'espace. Quand on fait un point après une période d'expérimentation de 6 à 8 mois, on observe qu'une sacralisation des espaces est parfois conservée.
Dans ces recherches, Moulin montre que parfois, quels que soient les espaces, l'enseignant a un rituel assez fort quand il est dans l'espace de sa classe fermée :
la classe flexible dans un espace fermé clos semble nécessiter une colonne vertébrale centrale ;
l'espace enseignant, avec la proximité du bureau, peut représenter un espace sécurisant mais aussi un espace où on institutionnalise le savoir. C'est l'enseignant qui prend la parole, indique, écrit au tableau les consignes d'exercices, du savoir savant
Renseigner une grille de préparation oblige l'enseignant à se poser des questions : où va-t-il se positionner, dans l'espace, au centre sur les côtés ?
Isabelle Sarrade, chercheur au sein du Laboratoire de recherche sur les apprentissages en contexte (Grenoble), s'interroge dans sa thèse sur le rôle de l'organisation de l'espace de travail dans les activités effectives et empêchées des enseignants. Les enseignants qui ont participé à son expérimentation portaient un gilet connecté qui mesurait leurs déplacements, et les élèves avaient un micro cravate. En fonction de la position et des déplacements de l'enseignant, Sarrade a mesuré la qualité de l'argumentation scientifique. Il s'avère que des configurations spatiales sont plus favorables à des débats ou argumentations scientifiques entre élèves, même quand l'enseignant est parti (lés élèves concernés étaient des collégiens ou lycéens en SVT, physique ou chimie). L’Îlot classique, de 3 à 5 élèves, n'est pas le plus favorable. Par contre, les configurations en peigne ou en antenne râteau sont beaucoup plus favorables à l'argumentation scientifique.
Cela va à l'encontre des travaux de Moulins (2004) sur la sacralisation de l'espace, dans lesquels il semblait que le peigne ou le râteau était des stresseurs environnementaux qui empêchaient l'enseignant de faire acte de discipline au centre de la classe, de demander l'attention par exemple pour rappeler une définition ou une consigne.
Moulin, J. (2004). Le discours silencieux du corps enseignant: La communication non verbale du maître dans les pratiques de classe. Carrefours de l'éducation, 17(1), 142-159. doi:10.3917/cdle.017.0142.
Les organisations en îlot impliquent toujours la même sacralisation de l'espace, l'enseignant au centre ou au tableau et les mêmes actes pédagogiques.
Dans la classe mutuelle, ce sont les murs, les périphéries qui sont utilisées. Même Vincent Faillet exploite l'espace dans un espace sacralisé ; il ne sort pas de sa classe.
Focus sur la proxémie (Edward T Hall, 1976)
L'étude des distances sociales ou proxémie a été étudiée par Hall.
Il distingue des catégories de distances interindividuelles en fonction de la distance qui sépare les individus, mesurée entre la tête et la main.
La distance des relations interpersonnelles entre la tête et le coude correspond à une grande intimité.
Entre la tête et le bout des doigts (longueur du bras tendu), nous sommes dans la sphère sociale : l'interlocuteur est plutôt attentif ou engagé dans les échanges
Quand on est à une distance d'une personne qui se situe, bras tendu, après les doigts, on peut beaucoup plus facilement ne pas être attentif.
Pédagogie Freinet et classe mutuelle ?
Les élèves travaillent ensemble selon le principe de la classe mutuelle. On utilise alors les ceintures de compétences de Freinet associées à l'élève et au groupe. L'enseignant rend ainsi l'élève de plus en plus autonome, et rend visible l'autonomie que l'élève peut avoir par rapport à sa construction personnelle et à sa gestion collective. Ensuite, il associe cette pratique à une démarche de classe mutuelle, de production collaborative et également de condisciples.
Se questionner pour mettre en œuvre une classe mutuelle ?
L'enseignant doit se lancer et s'autoriser un droit à l'erreur.
Il faut s'appuyer sur des repères simples dont la grille de conception à 5 entrées., de réfléchir à la relation entre la tâche implicite de l'enseignant et les tâches des élèves et de se questionner:
Comment se positionner dans l'espace (qui est debout, qui est assis...) ?
Comment positionner la ressource donnée ?
Comment le savoir est-il distribué ? Est-il dans la parole de l'enseignant, sur le tableau, dans un document, sur le portable, sur les murs, sur son mur ?
Quel cadencement donner ?
Comment l'enseignant fait-il circuler le savoir ?
Quelle proportion de savoir revient à l'enseignant et quelle était la proportion de savoir est dévolue aux autres ?
Comment intervenir sans prendre trop d'espace, à sa juste place ?
Comment distribuer et redistribuer le savoir ?
→ Qui a le savoir ? Où est le savoir ? Comment le redistribuer ?
Le programme de recherche OPERA porte « la volonté de développer la qualité de l'éducation pour tous tout au long de la vie en en créant les conditions tout au long du primaire, en particulier en améliorant les pratiques enseignantes. » Il a impliqué 45 écoles du Burkina Faso 2013-2014.
Dans le rapport afférent à ce projet sont mis en perspective les styles d'enseignement considérés dans les enquêtes PISA (behavioriste, constructiviste, transmissif...).
Les coordonnateurs scientifiques du programme OPERA font le parallèle entre style d'enseignement et distribution ou redistribution du savoir en temps en espace et en ressources.
En se questionnant, l'enseignant peut parfois prendre conscience que le savoir il est partagé principalement par le tableau ou par son oralité.
Utilisations de l'espace, rapport à l'espace, rapport aux autres, rapport au corps
Il est accordé une grande vigilance à ces points dans le 1er degré, surtout en maternelle ; le corps se construit dans dans la pratique.
Références
Jacques Bossis, Catherine Dumas, Claudie Faucon Mejean, Christine Livérato, Aménager les espaces pour mieux apprendre (+ CD-Rom ). À l'école de la bienveillance - Maternelle. Retz 2016
Merleau-Ponty : Espace, mouvement et corps virtuels chez Merleau-Ponty
Projet ECLA
"Dans ECLA, la place de l'enseignant change, il n'a plus de bureau et ses élèves non plus..."
Voir le projet en ligne.
Ressources associées⚓
Recommandations d'usage et juridiques⚓
Pas de recommandation particulière sur les droits d'usage.